CHAPITRE 8

Publié le par nicolas

Valentin attendit le début du jour avant de quitter le château. Il gagna le pont qui enjambait la rivière, descendit sur la berge et remonta le cours d’eau en évitant le couvert des pins, là où ils étaient le plus clairsemés. Il escalada le talus vers les pâturages, passant à côté de vaches qui broutaient tranquillement. Quelques unes levèrent lentement la tête avant de replonger vers l’herbe grasse, indifférentes aux grimaces qu’il leur adressait. Il gonfla ses joues en bougeant les lèvres, ruminant lentement pour les imiter, avant de leur tirer la langue. Il laissa le troupeau derrière lui, prenant une direction parallèle à l’orée de la forêt. Celle-ci, plus épaisse, marquait la frontière d’un monde obscur, où les rayons du soleil ne pénétraient pas, laissant prédateurs et toutes sortent d’animaux sauvages errer dans leur milieu naturel, à l’affût d’une proie facile. Valentin, en s’y aventurant très rarement, limitait les risques. Ce n’est pas lui qui servirait de repas aux loups embusqués. Pour lui, témérité était synonyme de stupidité. Pourquoi s’enfoncer dans les profondeurs de la forêt alors qu’on pouvait l’éviter ?

Pourtant, ses escapades régulières – bien que très prudentes - lui étaient nécessaires à plus d’un titre. Elles lui permettaient de s’aérer, se changer les idées, et la majesté d’un paysage grandiose avait un effet apaisant. Ce matin, tout annonçait une journée splendide. Les premiers rayons du soleil illuminaient de rose les cimes des arbres, teintaient d’or les montagnes enneigées qui se dressaient au loin.

Tout paraissait calme et paisible. Les lieux étaient imprégnés d’une pureté solennelle, majestueuse, comme lavant la terre de toutes ses fautes et ses impuretés, ôtant tout ce qu’il y’ avait de mal en elle - jalousies, mesquineries, cruautés - tous ces sentiments néfastes qui la souillaient et le rendaient malheureux. Oui, pas de doute, l’endroit était idéal pour se laisser aller, être en harmonie avec la nature, les conditions indispensables s’il voulait que le Pouvoir se manifeste dans toute sa puissance. Il se mit à genoux au milieu de la clairière et ferma les yeux. Un ruisseau coulait à proximité dans un doux murmure, et sa chanson était une invitation à la détente. Aussi, assez vite, un bien être s’empara de lui, le débarrassant de toutes ses angoisses, son anxiété, ses peurs et ses doutes. Il fît le vide dans son esprit, son cœur se mit à palpiter comme le cœur de la terre, battant au même rythme, baignant les alentours d’une sorte d’aura éthérée et divine.

Et il se produisit alors l’événement le plus incroyable qui soit. Comme attiré par cette source d’amour, les animaux se mirent à sortir progressivement de la forêt, avançant prudemment dans la clairière. Lapins, belettes, mulots, castors, écureuils, renards, ils approchaient dans une sorte de procession solennelle, comme envoûtés, dans un tel sentiment de paix qu’ils en oubliaient leur instincts de prédateur ou leur hiérarchie dans la chaîne alimentaire. Ils l’entourèrent et se lancèrent à l’assaut du garçon de tous les côtés à la fois, le mordillant et le léchant affectueusement. Valentin rouvrit alors ses yeux. Il réalisa avec joie que les animaux étaient encore plus nombreux à chaque fois, comme si son Pouvoir prenait de plus en plus d’ampleur. Il nota avec satisfaction la présence de Gourmand, un adorable ourson brun des Pyrénées, si mignon avec ses petits yeux noirs vifs et curieux, son long museau pointu, ses oreilles rondes. C’était un mâle débordant de vivacité, que la gourmandise poussait à s’aventurer sans aucune prudence. Gourmand se fraya difficilement un passage pour lui grimper sur les genoux, cherchant à laper d’un air goulu les larmes de joie qui ruisselaient abondamment sur les joues du garçon. L’eau salée semblait à son goût et il ne cessait de se désaltérer, enfouissant son museau dans le cou pour y chercher les larmes qui perlaient.

  •  

  • Arrête, tu me chatouilles ! rit de bon cœur Valentin.
  •  

Sa bouche resta béante de stupéfaction quand surgit le cerf le plus majestueux qu’il ait jamais vu, fier et élégant, évoluant d’une démarche royale.  Le poitrail massif, avec un cou assez élancé, il avait ce port altier qui convenait si parfaitement au seigneur des bois. Son pelage était d’un brun sombre, brillant sous les rayons du soleil. C’était l’animal le plus noble qui existe. Valentin fût saisi d’une crainte superstitieuse alors qu’il vint le renifler, projetant son souffle chaud si prés qu’il en sentit son odeur musquée. Puis, aussi royalement qu’il était apparu, il repartit, rejoignant tout un groupe qui apparût timidement à l’orée de la forêt. Comme agacé de ne plus être le centre d’intérêt, Gourmand revint à la charge, sautant sur les genoux du garçon pour accaparer son attention. Valentin le caressa affectueusement, sans pour autant délaisser tous les autres animaux qui se pressaient contre lui. Mais le Pouvoir avait ses limites. Peu à peu, les animaux s’écartèrent et s’éparpillèrent dans la forêt. Le jeune garçon et l’ourson restèrent seuls, jouant quelques minutes en roulant l’un sur l’autre dans l’herbe, avant de partir ensemble.

Ils formaient un drôle de duo, arpentant joyeusement la prairie de leur démarche inimitable : le garçon qui claudiquait maladroitement et l’ourson qui suivait d’un pas lourd et pataud. Mais, ensemble, ils semblaient les êtres les plus heureux du monde. L’ourson lui collait au pas, levait la tête et dressait ses petites oreilles arrondies, écoutant attentivement son ami qui ne cessait de parler avec de grands gestes, comme s’il le comprenait.

Tous deux atteignirent enfin le lac. L’eau était calme et limpide, et Valentin fût un instant obligé de se protéger les yeux de la réverbération du soleil sur la surface des eaux.

Des vols de canards et perdrix s’étiraient à l’horizon en lignes ondulantes. Et, tout prés, au bord du lac, il y’ avait déjà ses amis qui s’éclaboussaient en riant, nus comme des vers. Tous les deux avaient le corps blanc et glabre de garçons de quatorze ans, le même âge que lui. Marc avait déjà un coup de soleil sur ses grosses fesses rebondies, Valentin en eut un bref aperçu avant qu’il ne plonge tête la première dans l’eau. Il sourit en se disant que son ami avait là les seules occasions de tremper dans l’eau et d’ôter un peu toute sa crasse. Lui aussi, il avait une envie pressante de se baigner, ce qui fît après avoir ôté à la hâte ses habits. Il n’avait aucun complexe à dévoiler sa large cicatrice qui, d’un rose vif, allait du genou à quelques centimètres sous l’aine, car ses amis étaient bien les rares à ne montrer aucune curiosité malsaine ou moqueuse.

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  • Valentin ! Enfin, te voilà !
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  • Excusez mon retard, mais regardez qui je vous ai amené pour me faire pardonner !
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  • Gourmand ! C’est Gourmand ! Venez dans l’eau, elle est tellement bonne !
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Valentin ne se fît pas prier. Gourmand, lui, hésita. Il s’avançait prudemment, trempant les pattes une par une, tremblait à la fois d’appréhension et d’impatience, sa gorge émettant des petits grondements craintifs.

Pendant ce temps, les trois garçons sautaient et bondissaient dans l’eau, cherchant à faire le plus d’éclaboussure possible. Marc avait des aptitudes naturelles pour gagner à ce petit jeu-là, tellement imbattable qu’il ne cessait de courir et sauter, se mettant en boule avant de se laisser tomber de tout son poids. Le rire de Thierry fût noyé par une vague dévastatrice, lui faisant perdre l’équilibre. Il sortit la tête de l’eau quand Gourmand vint nager jusqu’à lui, évoluant maladroitement en bougeant ses pattes avec frénésie, son museau allongé pointant hors de l’eau. Thierry le prit dans ses bras avec douceur.

  •  

  • Bravo ! Tu es courageux, c’est bien…
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A quelques pas de là, Valentin émergea à l’air libre en riant et s’ébrouant. Il tapa des mains pour attirer l’attention de l’ourson.

  •  

  • Gourmand, viens. Allez, viens…
  •  

Il ne cessa de l’encourager tandis que l’animal nageait vers lui. Gourmand avait une mine pitoyable, si maigre avec ses poils trempés et collés qui le faisait ressembler à une belette. L’ourson allait rejoindre Valentin lorsque celui-ci disparut brusquement de la surface de l’eau. C’était Marc qui venait de le saisir brusquement par l’un de ses mollets pour l’attirer sous l’eau. Du coup, l’animal sembla perdre ses repères et, désorienté, regagna lourdement la rive. Valentin réapparût, aux prises avec son ami qui tentait encore de le noyer. Les deux enfants se battaient et se chamaillaient affectueusement, tentaient en même temps de rappeler Gourmand entre deux prises. En vain. Pour l’ourson, il y’ avait trop de bruit et de bousculade. Il s’ébrouait furieusement, cherchant à redonner un peu de dignité à son beau pelage trempé.

Il était presque sec quand les enfants virent le rejoindre. Aussitôt, Marc fouilla dans un sac, posé prés de ses habits jetés en tas, et en sortit un pot de miel. Gourmand en sentit immédiatement l’odeur, se mettant debout sur ses deux pattes arrières, faisant le beau comme un chien alors qu’il quémandait sa gourmandise. Il grondait et effectuait des petits sauts sur place. Marc ne poussa pas le vice à le faire trop languir, ouvrant vite le pot avant de le poser sur une touffe d’herbe. Gourmand se jeta dessus avec voracité. Bientôt, il eut le museau dégoulinant de miel, lapant d’une langue agile tout ce qu’il pouvait trouver. Sans cesser de l’observer, les enfants riaient aux éclats. Valentin en avait les larmes aux yeux. Avec ses amis, il se sentait tellement à l’aise qu’il se libérait totalement. Il cria :

  •  

  • Arrête, Gourmand ! Tu ne vas pas te rendre malade tout de même !
  •  

Pour l’ourson, c’était bien là le cadet de ses soucis alors qu’il léchait le pot en terre à l’user, le faisant rouler à terre et le poursuivant plus loin. Les trois garçons s’habillèrent avant de s’asseoir face au lac.

  •  

  • Alors, les amis, quel est votre emploi du temps pour aujourd’hui ? leur demanda Thierry.
  •  

Il tourna son visage fin et émacié, en lame de couteau, surmonté d’une crinière de cheveux bruns, dans leur direction.

  •  

  • Pour moi, c’est écurie, crottin, écurie et encore du crottin… répondit Marc.
  •  

     

  • Crotte alors ! Chienne de vie ! Et toi, Valentin ?
  •  

     

  • Pareil. Sauf que, ces trois jours, il faudra que je m’occupe aussi des jardins du comte. Marc, cela ne t’ennuie pas que je t’abandonne de temps en temps ?
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Celui-ci haussa les épaules avec indifférence.

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  • Aucun problème. Je te couvrirai et je dirai aux autres de se taire. Mais tu crois pouvoir assurer avec tout ce boulot supplémentaire ?
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  • Je me débrouillerai. C’est pour ça que je ne pourrai pas rester trop longtemps avec vous, les amis. Et toi, Thierry, que vas-tu faire aujourd’hui ?
  •  

     

  • Comme d’habitude. Travailler dans les champs avec père. C’est l’époque des labours, celle que je déteste le plus, là ou père a toujours besoin de moi.
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Thierry, même s’il se plaignait souvent d’effectuer un travail qu’il n’aimait pas, avait la chance d’être le fils de paysans relativement favorisés et aisés. Son père était laboureur, donc avec quelques lopins de terre en sa possession, et surtout propriétaire d’une charrue et d’une paire de bœufs. Certains étaient beaucoup plus à plaindre…

Le visage fermé de Thierry s’illumina brusquement alors qu’il sortit un objet de son sac, le tenant délicatement au bout de ses doigts.

- Regardez ma dernière création !

Avec fierté, il leur montra une statuette en terre cuite représentant un étalon magnifique. C’était un travail parfait, où chaque détail ressortait avec une précision réaliste, donnant l’impression que l’animal allait se cabrer avant de partir au galop, dans une osmose de mouvement et de dynamisme incomparables. Valentin et Marc en restèrent bouche bée, se passant l’œuvre d’art avec attention. Pour eux, leur ami était un vrai artiste, un génie précoce et méconnu. Ils avaient déjà contemplé plusieurs de ses œuvres, de la sculpture contemporaine à l’art baroque, taillé dans la pierre, le bois ou le bronze.

  •  

  • C’est magnifique, réussit à articuler Marc d’une voix à peine audible.
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  • Tu as des mains en or, approuva Valentin avec admiration.
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Leur ami hocha la tête avec dépit.

  •  

  • Je ne sais pas si j’ai des mains en or, mais je dois me cacher pour fabriquer mes sculptures. Père me dit que je perds mon temps à faire des objets inutiles, qui ne rapportent rien à la famille, et mère n’y prête pas plus d’attention que ça !
  •  

Son visage s’assombrit alors qu’il rangea la statuette dans son sac. Valentin l’observa avec un mélange d’affection et de compassion, comprenant sa déception.

Thierry était comme son frère. Leur amitié remontait à une dizaine d’années environ. Valentin, s’installant tout juste avec la famille dans les montagnes pyrénéennes, prenait tout juste ses marques. Un soir, il avait aperçu ce garçon trop grand pour son âge en train de pleurer. Quelques enfants du village l’avaient exclus de leur bande sous prétexte qu’il était différent. Du coup, Valentin avait découvert l’intolérance et la bêtise humaine. Mais, surtout, son meilleur ami. Ils s’étaient protégés mutuellement, faisant front ensemble devant l’adversité, sans jamais plus se quitter. C’était cela la vraie amitié, pouvoir compter l’un sur l’autre, même dans les moments difficiles.

Thierry était un garçon maigre et dégingandé, juché sur des jambes si longues qu’elles donnaient l’impression, à chaque pas, de fléchir, lui donnant une démarche fragile et hésitante. Tous ses gestes étaient aussi mal coordonnés, comme s’il ne savait pas quoi faire de sa grande carcasse. Son allure gauche était en parfaite harmonie avec son tempérament doux et distrait. Son esprit, des fois, partait dans tous les sens, comme perdant le fil de ses pensées, imaginant et inventant mille sculptures différentes, s’évadant pour revenir à la conversation alors que celle-ci avait déjà changé. Terriblement anxieux, lorsqu’un problème lui trottait dans la tête, il était alors incapable de se concentrer sur le sujet présent, ce qui était risible puisqu’il avait souvent du retard par rapport aux autres. Mais il ne s’en formulait pas, jouant de son étourderie pour partir sur des délires totalement absurdes et décalés, dans une auto-dérision enflammée. Pour cela, il était drôle, loufoque et attachant. Pour ses deux amis, son extravagance était une qualité, et ils l’aimaient tel qu’il était. Pour d’autres enfants, il était différent, donc sujet à brimades et moqueries, où on l’affublait des sobriquets de "  la grande asperge "  ou le " héron ", selon les humeurs.

Ainsi, tous les trois constituaient un tableau assez risible, assis côte à côte dans le même alignement, face au lac, du plus petit au plus grand. D’abord, Marc, le petit gros, qui sentait toujours mauvais, doux et affectueux avec les chevaux qui le lui rendaient bien. Ensuite Valentin, de taille moyenne, mince et normalement constitué lorsqu’il ne boitait pas, doux rêveur, naïf et idéaliste, passionné pour l’écriture, plus particulièrement la poésie. Et, enfin, Thierry, toujours en perte d’équilibre sur ses grandes échasses, lunaire et farfelu mais amené sans doute à être le plus génial des sculpteurs de sa génération s’il avait la chance de s’installer un jour à Paris, et non de s’enterrer le restant de sa vie dans une région reculée où les artistes ne servaient à rien...

Des enfants hors norme, méprisés et exclus par tous ceux qui ne pouvaient accepter leur différences, à une époque en proie à la violence et aux préjugés.

Mais ils s’en moquaient. Ensemble, ils étaient eux-mêmes, spontanés, libres et vivants comme jamais ils ne pourraient l’être ailleurs…

- Dis, Valentin, je peux te poser une question ? lui demanda soudainement Thierry.

  •  

  • Bien sûr…
  •  

     

  • Pourquoi êtes-vous parti du Canada ? Cela devait être un pays merveilleux…
  •  

     

  • Je ne sais plus. J’étais trop petit…
  •  

Thierry sentit à la voix de Valentin que celui-ci était sur la défensive et il se demanda pourquoi. Cela le vexa.

  •  

  • Dis-le carrément si tu ne veux pas répondre. Je croyais qu’on était les meilleurs amis du monde…
  •  

     

  • Mais c’est vrai. Je te jure que je ne me souviens pas.
  •  

     

  • Mais tes parents le savent, eux, et ils ont bien dû t’en parler.
  •  

     

  • A peine… Ils ont toujours été très vagues là-dessus, comme un secret qu’ils ne devaient pas trahir.
  •  

Et Valentin disait la vérité. Ses parents avaient toujours été mystérieux et inquiets lorsqu’il avait voulu connaître la raison de leur départ précipité. Aussitôt, ils changeaient de conversation. Et, ensuite, il avait fini par oublier et ne plus aborder le sujet. Le peu qu’il en savait, c’était par Philippe, le plus grand des enfants et donc le plus apte à garder quelques souvenirs de cette vie en Nouvelle France. Mais ce qu’il en disait à l’époque n’avait aucun sens. C’était la période où son grand frère, ayant pris assez vite ses repères dans leur nouvelle existence, commençait à traîner avec des plus grands, oubliant son rôle de protecteur avec frère et sœur. Pour jouer les durs ailleurs… Gagnant en maturité et en égoïsme aussi, ne se préoccupant que de ses petits plaisirs. Pour Valentin, ce fût une déception et une grande tristesse de se sentir abandonné, prenant conscience qu’il y’ aurait désormais un large fossé entre eux. Valentin était encore un enfant, se

préservant, refusant d’ouvrir les yeux sur tout ce qui pouvait être cruel ou trop difficile à supporter. Et Philippe, au contraire, avait été rapidement un adolescent précoce, fonceur, dégourdi, acceptant de perdre son innocence pour affronter la vie et ses dures réalités. Inévitablement, ils finirent donc par perdre leur affection et leur complicité. Philippe devint alors distant, inabordable, pour ne pas dire moqueur… Pour faire l’intéressant devant les autres. Toute occasion était bonne pour lui faire peur – ce qui était très facile – et sa plaisanterie favorite était de lui parler de leur fuite du Canada, un départ brusque et chaotique, où il était question de guerre, d’indiens, de sorcellerie, d’histoires à dormir debout. Ainsi, d’après lui, les français menaient une guerre permanente contre les anglais, dans cette contrée sauvage et mystérieuse qu’était la leur à l’époque… Français et anglais étaient alliés à des indiens qui se détestaient depuis des générations, mais les pires de tous étaient les Iroquois, des guerriers invincibles, aussi cruels que sadiques, poussant leur férocité à torturer leurs prisonniers nuits et jours ! Ceux-là étaient amis des anglais, donc ennemis des français. Enfin, il lui semblait bien que c’était ça… C’était si confus… Surtout, qu’ensuite, cela se compliquait davantage. Une vague histoire d’attaque impitoyable et enragée de plusieurs nations indiennes contre les colons français, de ravages, de carnages, une malédiction jetée sur la famille pour une histoire de vengeance. Celle-ci aurait combattu vaillament mais aurait été obligée de fuir, assaillie et débordée de toutes parts par des ennemis trop nombreux. Il était alors question d’une retraite éperdue, où des Iroquois les talonnaient et les harcelaient sans relâche, massacrant et scalpant tous ceux qui étaient à la traîne… C’est lors d’une de ces attaques que leurs grands-parents maternels auraient trouvé la mort, version évidemment démentie par Madeleine qui, toujours triste lorsqu’on abordait ce sujet, répondait laconiquement que ses parents étaient morts noyés dans la rivière Saint Laurent, leur pirogue s’étant fracassé contre des rochers dans les rapides ! Qui croire ? Pourquoi leur passé restait-il si mystérieux et inquiétant ? Et ce ne sont pas ses grands-parents paternels qui lui apporteraient des réponses. Eux aussi n’en parlaient jamais… Cette même loi du silence était valable pour Tasaha et son père, Tsondatsaa, grand guerrier du clan des Hurons, qui avaient suivis Joseph et toute la famille jusqu’ici, fuyant aussi un grand danger. En tout cas, quel que soit le danger, il avait dû être grand et terrible pour que père et grand-père se décident à battre en retraite.

  •  

  • Tu me crois, Thierry, n’est-ce pas ? Je ne connais rien de mon passé, je te le promets... répéta Valentin.
  •  

L’idée qu’il passe pour un menteur lui était insupportable.

Thierry haussa les épaules d’un air déçu.

  •  

  • Après tout, c’est ta vie… Mais c’est dommage, car elle a dû être passionnante… Avec quelqu’un comme ton père, qui est tout sauf quelqu’un de banal, il a dû vous en faire vivre des aventures dans ce Canada…
  •  

Au visage de son ami qui se ferma d’un coup, Thierry comprit qu’il avait encore commis un impair. Ils avaient entre eux une règle d’or : ne jamais parler du père de Valentin. Pour lui, c’était trop de souffrance, de tristesse, avec la garantie que la bonne humeur du groupe serait brusquement gâchée. Jusqu’ici, ils avaient plus ou moins respecté son souhait, sauf quand l’étourderie de Thierry faisait des siennes. Maintenant, l’ambiance était plombée. Thierry prit un air penaud.

  •  

  • Désolé, Valentin… Je ne voulais pas…
  •  

     

  • Ce n’est pas de ta faute. C’est la mienne. Si j’avais une famille normale, rien de tout cela ne serait arrivé.
  •  

Il se leva avec un pâle sourire.

  •  

  • Bon, il faut que j’y aille. J’ai une journée chargée. Le jardinier doit me donner quelques conseils avant que je me lance tout seul dans l’entretien du parc. A bientôt, les amis…
  •  

     

  • A bientôt.
  •  

Ils se retournèrent, le suivant des yeux alors qu’il s’éloignait, clopin-clopant avec son ami ourson qui lui colla aussitôt aux talons. L’enfant et l’animal étaient baignés d’une lumière dorée, drôles et insolites avec leur démarche maladroite.

Alors que Marc se détournait pour jeter quelques cailloux dans le lac, Thierry garda un œil attentif sur Valentin. Et il regretta aussitôt de s’être ainsi attardé à regarder derrière, car ce qu’il vit – ou ce qu’il sembla voir – lui hérissa les poils d’une peur irrationnelle. Alors que Valentin marchait à l’orée de la forêt, quelque chose de sombre se déplaçant entre les arbres lui fit détourner les yeux, les écarquiller et le figer d’effroi. Une forme noire et immense se glissait dans la végétation épaisse, suivant Valentin et l’ourson, parallèlement à leur trajectoire. Cela se passait si loin que Thierry fût incapable de savoir avec précision ce que c’était. Mais ce dont il était certain, c’est que cette chose ne lâchait pas le jeune garçon et l’animal, les épiant et les traquant, comme choisissant le moment propice pour fondre sur ses proies.

 

 

Publié dans Des Anges et des Loups

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L
<br /> <br /> nooooooooooooon !!! tu peux pas t arreter comme ca XD c'est trop cruel T_T<br /> <br /> <br /> la suite vite !!!!<br /> <br /> <br /> :) a bientot !!<br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> super . ces vraiment interrassants. J'ai hate de connaitre la suite quand la mettras tu?<br /> <br /> <br /> Si tu as un moment et que cela t'interresse, j'ai moi-même crer mon blog ou je publie des histoires fantastique. je te mets deja dans mes favori.<br /> <br /> <br /> salut et bonne continuation<br /> <br /> <br /> <br />
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