Le Tigre du Pacifique 2.

Publié le par nicolas

affiche-The-Reef-2010-1

 

imagesCAZQNZ4VDes nuées de poissons argentés et multicolores frétillent le long de la paroi de corail. Ils étincellent comme des joyaux dans la lumière bleue de l’Océan Pacifique, rehaussant les couleurs chatoyantes du corail qui, de cent espèces différentes et mille éclats différents, prennent des formes et des lumières aussi contrastées que merveilleuses. Suso Lombardo est sous le charme, fasciné. Il respire au rythme lent du plongeur expérimenté tout en descendant assez vite, de coups de palmes réguliers et vigoureux. Il n’a pas envie de gaspiller de l’air en progressant trop lentement, et réguler sa respiration lui permet de l’épargner et ventiler en même temps efficacement ses poumons. La falaise de corail plonge à pic et il a l’intention d’aller le plus loin possible, toucher le fond si possible… D’un œil averti, il consulte son chronomètre et son profondimètre. Il lit huit mètres. Parfait, tout se déroule à merveille. Il connaît son sujet à fond, sur le plan théorique comme pratique, ayant déjà effectué de nombreuse plongées dans toutes les mers du globe, de la Méditerranée à la Mer Rouge. A vrai dire, ses niveaux lui permettent de s’aventurer seul dans les grands fonds, sans la présence d’aucun moniteur. Mais ses moyens financiers lui autorisent tous les droits et servent tous ses caprices, alors pourquoi se passer d’une monitrice si celle-ci est jeune et jolie ? Il faudrait être stupide de partir en solitaire alors que la présence attirante d’une femme peut agrémenter l’aventure. Joindre l’utile à l’agréable, avec la cerise sur le gâteau si la monitrice en question finit dans son lit. Cette heureuse perspective le fait sourire, déformant davantage son visage déjà quelque peu malmené par le masque et l’embout qui étire de façon grotesque ses lèvres. Il est certain que ce n’est pas dans cette tenue de plongeur qu’il allait conclure avec la ravissante Christelle. D’ailleurs, cette dernière doit être dans tous ses états, folle d’inquiétude. Excellent, ne jamais laisser une femme indifférente, la surprendre, l’agacer, sortir de l’ordinaire pour attirer son attention… Une tactique qui porte ses fruits, certaines fois… Peu importe. Il n’a jamais peur d’en faire trop. L’idée qu’elle se fasse du souci pour lui tout en le maudissant est un bon début… Fier de lui, son sourire s’élargit alors qu’il lève la tête.

L’eau est si transparente qu’il aperçoit distinctement le visage stupéfait de Christelle penché sur l’eau, guettant son apparition. Elle peut toujours chercher… Très bon ça… A quelques mètres du Zodiac, de petites vagues viennent de temps en temps franchir le récif, un léger débordement d’écume qui fait mousser la surface. Parfait, sa bonne blague et les conditions climatiques sont réunies pour passer une excellente journée. Heureux, il baisse la tête, prêt à reprendre sa descente, lorsqu’une ombre rapide attire son regard. C’est une longue forme aussi agile que large qui remonte des profondeurs de la mer sur un puissant coup de sa longue queue, avec une haute nageoire dorsale aussi longue qu’un bras d’homme. Un requin. Il est énorme, puissant, au corps massif dépassant les six mètres, devant peser pas loin d’une tonne. Son museau arrondi a quelque chose de sinistre et d’impitoyable, avec une large mâchoire qui dessine une sorte de rictus avide. Suso se fige d’horreur, littéralement tétanisé. Il n’en a jamais vu de si gros et celui-ci semble particulièrement dangereux et vorace. C’est l’espèce la plus redoutable et agressive, le requin-tigre. Si son ventre est d’un blanc laiteux, le dos large est d’un brun-gris strié de rayures verticales aussi sombres que visibles, ne faisant aucun doute sur son espèce.

images-copie-2Il surgit silencieusement, comme un fantôme des abysses, passant à une dizaine de mètres de lui. Suso sent son cœur s’arrêter de battre. Il se fait tout petit, se plaque contre la muraille de récifs, souhaitant que sa combinaison noire se confonde avec les coraux. Un instant, le squale change de direction, se dirigeant vers lui. Suso, alors qu’il doit tout faire pour ne pas attirer l’attention du requin, est saisi d’une telle peur que son cœur se met alors à s’emballer. Il a l’impression que les battements affolés de son cœur résonnent dans les profondeurs de la mer, attisant la curiosité du squale. Comme les bulles qui montent et éclatent à la surface. Puis, au dernier moment, celui-ci bifurque et s’éloigne. Sa silhouette devient indistincte. Une ombre parmi les ombres…

Affolé, Suso tourne le tête dans toutes les directions, cherchant le requin des yeux.

Au dessous de lui, le fond est un trou noir. Brusquement, les fonds marins n’ont plus rien de beaux et d’accueillants. Ils ont un aspect menaçant. L’eau devient glauque et obscure, l’enveloppant dans un manteau glacé. Il éprouve un terrible sentiment de crainte presque superstitieuse. Autour de lui, tout est menaçant et sinistre, comme si quelques forces redoutables et monstrueuses étaient tapies dans l’ombre des profondeurs. Qui lui dit que d’autres requins ne s’agitent pas là-dessous, tournoyant et se bousculant, prêts à le happer par les jambes pour l’attirer au fond et se disputer leur festin ?

Sa priorité est de regagner la surface et bénéficier au plus vite de la protection de la paroi de corail. Là, il pourrait avertir la jeune femme du danger et réfléchir sur la suite des événements. Si le requin ne réapparaissait pas, tout cela ne serait plus qu’un mauvais souvenir…

Faux espoir. Le squale surgit brutalement avec une vitesse phénoménale, se précipite vers la surface, droit sur le Zodiac. Il se met à tournoyer autour, faisant volte-face, revenant, avant de décrire des cercles de plus en plus proches. Puis, brusquement, il fond sur l’embarcation, heurtant la coque de sa nageoire. Le Zodiac oscille furieusement alors que le visage effaré de Christelle apparaît, penché par dessus le pneumatique. Elle cherche l’origine de l’impact. Puis, distinguant enfin la silhouette inquiétante du requin, elle part vivement en arrière.

Suso est paralysé sur place. Il ne sait pas quoi faire. S’il avait été courageux – pour ne pas dire inconscient - il serait monté à la surface, cherchant à regagner le bateau pour prêter main forte à Christelle. Mais, au fond de lui-même, une petite voix déclenche une alarme tonitruante, lui dictant que tout effort est vain. L’embarcation, petite et légère, est littéralement dérisoire face au requin qui la dépasse largement. Le bateau semble n’offrir aucun abri sûr. Et la suite lui donne hélas raison. A cet instant, le requin frappe, prenant son élan sous le bateau pour remonter comme une fusée. Avec une force effroyable, il projette le bateau en l’air, si violemment que le choc se répercute sous l’eau, dans un bruit terrible et assourdissant. Pulvérisé, le Zodiac retombe en mille morceaux, ses pneumatiques explosant et s’éparpillant à la surface de l’eau. Tout ce qui ne flotte pas est englouti par l’eau, s’enfonçant dans les profondeurs. La silhouette gracile de Christelle réapparaît, après un vol plané qui a semblé durer une éternité. Elle paraît saine et sauve, même si elle bouge peu. C’est sans doute la peur ou la prudence - ou les deux à la fois – qui lui dictent de rester immobile le plus longtemps possible. La folie à ne surtout pas faire est de s’agiter ou fuir de façon hystérique devant un squale. Une réalité beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Et qui n’est toujours pas fondée… En effet, le squale n’est pas dupe. Il modifie le tracé de ses mouvements et entame une série de cercles qui précédent l’attaque. Une brusque folie le pousse à plonger hors de l’eau, proche de sa proie. Un bond énorme. Il retombe lourdement dans une explosion de remous. Cet acte irraisonné a raison du courage de Christelle. Brusquement, elle se met sur le ventre et nage rapidement. La terreur lui donne des forces nouvelles et elle part d’un crawl puissant en direction du plateau corallien qui est maintenant son unique espoir de survie. Si elle l’atteint, le squale serait trop gros pour glisser sur les récifs et l’attaquer. Impuissant, Suso ne peut qu’observer la scène. Une terrible appréhension le fige lorsqu’il comprend que Christelle n’a aucune chance. Prenant déjà conscience de la violence insoutenable qui va suivre, il a un premier réflexe vomitif.

Le requin couvre à toute allure les derniers mètres qui les séparent, chargeant de toute sa masse. Il ouvre sa gueule gigantesque, garnie de dents aiguës et grises, et c’est comme s’il se mettait alors à gonfler, soulevant ses ouïes, sa mâchoire se contractant et se distendant en redoublant de volume.

affiche Attaque des requins tueurs 2001 1Il semble capable d’engloutir Christelle toute entière, d’une seule et immonde .bouchée. Sa taille est tellement disproportionnée par rapport à celle de la jeune femme que cette horrible perspective semble possible.

A cette idée, Suso prend une profonde inspiration pour tenter de contrôler sa nausée. Ce n’est pas le moment… A huit mètres de profondeur, vomir l’obligerait à recracher l’embout et à remonter d’urgence à la surface, attirant l’attention du requin sur lui. Malgré son écœurement et cette pensée égoïste, il se maîtrise. Une part de lui-même ne veut rien perdre de ce qui va se produire, comme si cela était écrit et inévitable.

Le requin, presque déformé par ses larges mâchoires béantes, avale les jambes de Christelle avec une facilité déconcertante, ne refermant sa gueule qu’à hauteur des hanches. D’un seul coup, il lui entaille profondément la chair, faisant bouillir l’eau tout autour d’eux d’une sinistre teinte rouge. Un instant, la femme et le requin ne semblent faire qu’un, emmêlés dans une étreinte obscène et immonde, se débattant dans un grand bouillonnement d’écume écarlate. Le corps du requin semble être le prolongement de celui de la monitrice. Cette scène lui paraît abstraite tant elle est impensable. Violemment ballottée, la jeune femme ressemble à un pantin désarticulé à moitié englouti dans la gueule du prédateur. Elle semble disloquée par la violence du choc. Mais la douleur semble plus forte. Malgré les tonnes d’eau qui les séparent, Suso l’entend hurler. Un cri à lui glacer le sang, animal, puissant et primitif, qui ne s’interrompt que lorsqu’elle est happée sous l’eau.

Horrifié, Suso est littéralement paralysé sur place. Jamais il ne s’est senti aussi honteux et impuissant mais l’idée d’aller secourir la jeune femme ne lui effleure même pas l’esprit.

Avec l’énergie du désespoir, se recroquevillant sur elle-même, Christelle tente de se dégager. Elle prend appui sur la gueule du monstre, évitant le trou béant de ses mâchoires, et pousse de toutes ses forces. Tendue en un arc de cercle difforme, sa colonne vertébrale prête à se briser à tout moment, elle se tord et se contorsionne en tout sens, alors que le requin la secoue déjà avec une brutalité inouïe. Elle a une telle volonté de s’en sortir qu’elle en oublie les coups mortels qui déchirent sa chair. Enfin, elle parvient presque à se libérer, à l’instant même où le squale relâche la pression de ses mâchoires. Mais elle ne fait qu’aggraver la situation. Le requin reprend sa prise plus bas, au niveau des cuisses, là où la chair est plus tendre et fragile. En trois secousses furieuses, il lui arrache les jambes, la coupant littéralement en deux. Il avale gloutonnement l’un des membres sectionnés, laissant flotter l’autre à la surface. Pour le rattraper dans sa gueule ouverte et l’avaler, il est obligé de relâcher un moment sa proie.

Suso est persuadé de retrouver la jeune femme morte. Personne ne peut survivre à une telle attaque. Son sang se vide abondamment par ses jambes sectionnées à la sauvage, laissant flotter des filaments de chair. Mais, par le plus grand des miracles, la jeune femme bouge encore, cherchant désespérément à remonter à la surface. Sa tête émerge hors de l’eau. Elle tousse, crache eau et sang, cherchant à nager de petits gestes des bras. Ses mouvements sont faibles et désordonnés. Et son accalmie de très courte durée. Le requin vient finir son repas. Excité par l’odeur du sang, il se jette sur elle, la saisissant à la taille et la secouant furieusement. Ses mouvements sont violents et imprévisibles. Il est saisi d’une telle rage et d’une telle fringale qu’il réduit le corps de la jeune femme en bouillie, avalant et mâchonnant tous les morceaux de chair dans une frénésie effrayante.

Le corps sanguinolent est éparpillé dans une mer qui n’a plus rien de bleue, disparaissant petit à petit dans la gueule vorace du requin qui semble ne vouloir laisser aucun reste… Entre ses dents, une main reste accrochée et, d’un coin de sa mâchoire, pend un long lambeau de chair.

Pour Suso, c’est trop. Pris d’un violent haut-le-cœur, il se met à vomir. Il recrache l’embout et, ne voyant plus rien, arrache aussi son masque. Puis, comme un fou, remonte précipitamment à la surface.

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F
<br /> <br /> sympa cette nouvelle, il y a une suite. Est-ce que l'homme va s'en sortir ? Je crois que non. <br /> <br /> <br /> Pour moi, je trouve que ton histoires commence vraiment que lorsqu'il plonge dans l'eau, avant je trouve que c'est trop long. Mais ce n'est que mon point de vue, quand je commence a lire une<br /> histoires, je n'ai qu'une hate c'est de lire la suite jusqu'a la fin.<br /> <br /> <br /> Sinon, trés bien décrit au niveau de la sensation quand le requin l'attaque et la mange...<br /> <br /> <br /> Salut, au plaisir.<br /> <br /> <br /> <br />
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N
<br /> MERCI pour ce gentil message et tes encouragements et critiques objectives. Bientôt la suite en effet avec l'apparition de la soeur venue enquêter. Amitiés, Nico<br /> <br /> <br />